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L’ENH selon Florence Nadeau : « un traumatisme de jeans troués et un cerveau sur le poêle »

L’ENH selon Florence Nadeau : « un traumatisme de jeans troués et un cerveau sur le poêle »
28 février 2022

On a demandé à une de nos diplômés en Écriture humoristique de nous conter son parcours étudiant dans notre école. L’ENH selon Florence Nadeau : entre questionnements existentiels et un cerveau constamment en ébullition. Elle prend la parole dans cet article !

L’ENH selon Florence Nadeau

Longer les corridors de l’École nationale de l’humour après avoir gradué est une expérience qui s’apparente à l’image que j’ai d’une situation post-apocalyptique.

Je reconnais tout. Les chaises en bois de la cafétéria, le store décroché dans le local B22, l’odeur d’un spag réchauffé au micro-ondes à 14h45 parce que quelqu’un a eu une fringale durant le cours d’impro.

Pourtant, rien n’est pareil. L’énergie n’est plus la même. C’est comme si tous les meubles avaient été poussés de deux centimètres vers la gauche pour le pur plaisir de faire virer fou tous les anciens étudiants. Bien qu’elle soit toujours ma maison, cette école, où j’ai laissé ma pudeur et mes doutes, appartient maintenant à de nouveaux comiques en quête éternelle de validation.

Mon expérience à l’École nationale de l’humour, c’était ça. Une grosse bulle, un cocon que seules les personnes qui y vivent en même temps que nous peuvent comprendre. Graduer, c’est percer la bulle et se retrouver devant l’immensité qu’est ne rien faire devant son ordinateur pendant deux heures pour finalement écrire une blague juste correcte. Il y a des limites à faire un bon jeu de mots.

Lire la page : Formation Écriture humoristique.

ENH Florence Nadeau

Blagounettes et questionnements existentiels

Pour moi, entrer à l’ENH en 2019 fut plus anxiogène que de faire le défilé de mode de mon école secondaire alors que mes cuisses passaient à peine dans les jeans troués gracieusement prêtés par la boutique Amnésia.

Cela dit, dans les deux cas, je suais abondamment et j’avais l’impression de devoir entrer dans quelque chose qui n’était clairement pas fait pour moi.

C’est prestigieux et intimidant, cette institution. Qu’est-ce que j’allais faire si on réalisait que je n’étais pas assez drôle, ou pire, si j’allais devoir côtoyer des jeunes de 18 ans qui ne croient pas au déodorant ?

Ce serait un mensonge de dire que ces craintes se sont dissipées rapidement. Elles ont plutôt habité mon parcours scolaire, comme un petit bas qui glisse dans le fond d’un soulier et qu’on est trop gêné de remonter parce que ça voudrait dire ralentir tout le groupe en détachant ses lacets. Mes craintes étaient là, mais j’ai fait de mon mieux pour vivre avec.

Ce qui a réussi à me faire oublier le petit bas, ce sont les gens que j’ai rencontrés à l’ENH. Je ne vais pas vous mentir, j’ai en effet dû côtoyer des étudiants qui ne portaient pas de déodorant. Vous pouvez d’ailleurs m’écrire un courriel si vous voulez savoir si ces gens sont devenus connus.

 

Tissés serrés dans la honte

Dans cette petite bulle impénétrable du 7e étage sur la rue Sherbrooke, c’est là que j’ai rencontré mes plus grands alliés, mes amis drôles.

Forcer une quarantaine de personnes à se ridiculiser en essayant des blagues médiocres un jour et en leur offrant ensuite d’énormes ego boosts lorsque leurs anecdotes font tellement rire qu’on se fait un peu pipi dessus le lendemain, ça rapproche. Ça rapproche plus que mon voyage de secondaire trois en Équateur où nous avons tous eu une diarrhée de groupe. 

Ce qui est beau de l’École de l’humour, c’est que ça transforme un travail individuel comme celui d’humoriste ou d’auteur en humour en une affaire d’équipe. C’était impossible de ne pas être drôle quand tout le monde autour de soi travaille constamment à pousser des embryons d’idée comiques plus loin et à les développer. À nous tous, on pouvait pousser une blague du biberon jusqu’à la voir perdre sa première dent, et manquer de confiance lors de son premier party à thématique Cancún au Cégep.

Parfois, on amenait les idées trop loin, même. Comme lorsqu’une idée donne naissance à une séance d’improvisation de 45 minutes qui pourrait potentiellement tuer prématurément la carrière de ceux qui y ont participé.

 

Ode aux nuits blanches

Pour moi, l’École de l’humour c’était comme avoir mon cerveau sur un rond de poêle à high. À tout moment, il pouvait bouillir et déborder. J’étais constamment alerte, dans l’attente d’une prochaine idée, d’un commentaire d’un ami qui allait me permettre de pousser ma réflexion encore plus loin. J’étais toujours en train de garder un œil dessus afin de la sortir juste à temps pour qu’il soit al dente. C’est ce qui rend l’expérience aussi effervescente et essentielle au développement de la créatrice que je suis aujourd’hui. 

L’ENH, c’étaient des nuits à ne pas dormir parce qu’on pense trop, des nuits à ne pas dormir parce que les idées ne viennent pas et des nuits à ne pas dormir parce qu’on reste dans une soirée d’humour jusqu’à 4h du matin puisqu’un gars de ta cohorte est KO et dort sur le plancher collant. 

Sans l’École, je n’aurais jamais eu accès à des professeurs qui sont devenus mes premiers contacts dans le milieu pour ensuite devenir de véritables amis. C’est important ces amis-là, parce que dans la majorité des cas ils sont plus riches et vieux que toi et achètent donc autre chose que du vin de dépanneur.

Aujourd’hui, je travaille tous les jours en utilisant les outils que l’ENH m’a donnée en me pinçant de voir que je peux payer le loyer avec ce qu’on m’a appris à l’école. C’est juste que maintenant, je le fais de mon bureau, sans qu’un étudiant TDAH non diagnostiqué qui pense que hurler est un processus comique intéressant me donne envie de le frapper avec ma voiture. Si ce n’est pas ça vivre de son art, je ne sais pas c’est quoi.

Florence Nadeau, diplômée du programme Écriture humoristique en 2020.